Samedi 5 mars 2022

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Sylvain Tesson et Vincent Munier au Tibet


France Inter (source)

Echo de l’indifférence de l’Homme pour le monde du vivant.


Par Etienne Astor


« Les animaux se moquent complètement de ce genre de trophées [...] ce qu’ils veulent c’est qu’on leur laisse un peu de place. » Voici les mots prononcés par Sylvain Tesson, coréalisateur de La Panthère des neiges, qui vient d’obtenir le prix du meilleur film documentaire lors de la 47ème cérémonie des Césars.

En 2022, plus que jamais, le climat et la protection de l’environnement est au cœur des préoccupations. Edith Planche, ethnologue et chercheuse à l’Université de Lyon, nous aide à appréhender le difficile lien entre l’Homme, son territoire et les êtres vivants qui le composent.


La Panthère des neiges, présenté au festival de Cannes dans la section « Le cinéma pour le climat », est sorti en salle en décembre 2021. Marie Amiguet (coréalisatrice) filme les aventures du photographe animalier Vincent Munier et de l’écrivain Sylvain Tesson dans les plateaux montagneux tibétains, à la recherche de la fameuse panthère des neiges. Durant ce voyage, entre spiritualité et remise en question, les deux hommes font le « point » sur le rapport entre l’Homme et la nature, et notre place dans le monde du vivant.


Outre les images magnifiques et la découverte de la faune tibétaine, ce film met en scène une aventure humaine entre les deux amis. Leur périple est rythmé par les heures d’affût et d’attente, par la recherche des meilleurs endroits où poser leurs jumelles et objectifs, par les attitudes à suivre afin de ne pas faire fuir les animaux, mais également par la rencontre avec des locaux et notamment des enfants, vivant en totale autarcie. Cela redonne un certain relent d’espoir. Il serait donc encore possible de vivre en symbiose avec la nature. Cependant, cette infime part d’espoir ne permet pas de combler le fossé grandissant qui sépare l’être humain de la nature.


La Fissure de l’Homme avec la Nature


Au fil du film, la voix de Sylvain Tesson accompagne le spectateur dans son périple. Il livre ses impressions. « Tout n’aurait donc pas été créé pour le regard de l’homme » dit-il. En effet, pour Edith, « on peut se demander si tout le vivant n’a pas une perception du réel différente en fonction de sa biomorphologie ». L’homme se place au centre de toute chose sur terre. Cet ethnocentrisme exacerbé est venu renforcer le fossé entre l’Homme et son environnement. « L’Homme à une manière de concevoir la nature comme une ressource, comme quelque chose d’extérieur à lui » appuie-t-elle.


Dans le passé, les sociétés humaines vivaient davantage en harmonie avec la nature. Cette vision revient timidement avec le développement durable, qui redonne la voie à la perception des autres êtres vivants. L’industrialisation et l’évolution de nos modes de vie ont entrainé une urbanisation extrême de nos espaces. Cependant, cette urbanisation est en coupure totale avec l’environnement. « On a organisé notre espace selon une vision humaine, aux dépens des animaux qui circulaient dans ces espaces » regrette notre ethnologue. Cela nous a donc coupé du vivant, mais nous avons également « coupé les animaux de leurs besoins ».


Le développement humain a eu un impact considérable sur la nature et les animaux. « Finalement, on appauvrit notre vision du monde en pensant que les animaux sont des objets » souligne Edith. Depuis des décennies, et d’autant plus avec les nouvelles technologies, l’être humain s’est construit un véritable dôme. Nous vivons dans un espace vital réduit, sans prendre conscience du monde qui nous entoure. Plus le film avance et plus Sylvain Tesson réalise que l’Homme s’est éloigné drastiquement de l’animal. Effectivement, selon lui, le mode de vie animal « c’est tout ce à quoi nous avons renoncé, l’autonomie, la connaissance parfaite de l’environnement et la liberté ».


Chaque année, ce sont près de 70 000 hectares de terres qui sont rongées par l’urbanisation et l’industrialisation intensive. « En coupant les écosystèmes, les sols et les cours d’eau sont appauvris et cela engendre des complications pour le monde animal » alerte notre intervenante. En 2010, la loi Grenelle 2 à instauré la Trame Verte et Bleue, un ensemble de politiques publiques ayant pour objectif de rétablir l’ordre dans les écosystèmes urbanisés. « Il y a par exemple la création de crapauduc », qui sont des conduits sous-terrain permettant aux crapauds de traverser les routes. Mais la volonté d’action environnementale, bien qu’existante, est discutable. Ces politiques soulignent surtout un besoin de réparer l’indifférence de l’Homme au moment de l’urbanisation des territoires.


Selon Edith « L’Homme classe la nature, avant de vivre une relation avec elle ». C’est pourquoi il faut apprendre à connaître l’environnement dans lequel on vit. Cela passe notamment par l’éducation et la sensibilisation à ces questions et ces enjeux environnementaux.


Eduquer, pour se reconnecter avec la nature


« Créer pour aimer et apprendre, créer pour aimer et préserver » est la devise de l’association Science et Art (SeA), créée il y a 22 ans par Madame Planche. À travers une méthodologie pédagogique, l’association souhaite « rétablir le lien que nous avons avec l’environnement » indique-t-elle. Pour SeA, il est important de partir d’un point de vue local, afin de s’intéresser au global et de prendre conscience du monde qui nous entoure.


Pendant plusieurs années, l’association a organisé des sorties tout au long du Rhône et du lac Léman. Des établissements scolaires exploraient donc « leur coin du fleuve » et les enfants étaient notamment invités à « créer des animaux, en leur donnant les fonctions et les attributs qu’ils désiraient, en lien avec la découverte de l’environnement ». Cette méthode permet aux plus jeunes de se rendre compte à quel point la faune qui nous entoure est fantastique. L’association souhaite rétablir les liens entre esprit critique et conscience artistique.


Prendre conscience du monde qui nous entoure et des êtres vivants avec qui nous partageons notre environnement est primordial. « Sensibiliser peut changer notre rapport au monde » insiste notre chercheuse. À travers des œuvres comme La Panthère des neiges et avec l’évolution des mentalités, on porte de plus en plus d’importance aux autres êtres vivants. Cependant, « dans notre société, l’éducation à la nature est encore trop secondaire ou pas assez complète ». Selon Edith, il faut introduire la notion sensible d’amour. L’écologue français Jean-Marie Pelt disait « il faut aimer ce campagnol pour avoir envie de le préserver ». Et l’art aide à aimer, à s’impliquer.


Il a fallu que Sylvain Tesson vive une expérience immersive dans un environnement vierge de toute empreinte humaine pour se rendre compte que l’Homme n’est qu’un simple maillon dans la chaîne du monde du vivant. « En ne respectant pas la nature, l’Homme se détruit » alarme Edith Planche. Il ne tient qu’à nous d’annihiler cette autodestruction.

Lund 13 décembre 2021

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Affiche du film " La Nuée" de Just Philippot, sorti en Juin 2021


Source AlloCiné

Le vrombissement de détresse du monde paysan


Par Etienne Astor


En France, en 2018, ce sont 296 paysans qui se sont donnés la mort. Misère sociale, problèmes financiers et surcharge de travail sont les causes de cette surmortalité dans le monde agricole. Encore aujourd’hui, c’est environ un agriculteur par jour qui en vient au suicide. Pour travailler sur cela, nous nous sommes entretenus avec un chercheur en psychologie du travail.

Le mardi 23 Novembre, à travers la présentation d’une « feuille de route », le gouvernement ambitionne de solutionner les difficultés du monde agricole français. Le ministre de l’Agriculture et de l’alimentation, Julien de Normandie, accompagné d’Olivier Véran, a donc dévoilé ce document, s’attaquant au mal-être des paysans.


Dans son premier long métrage intitulé La Nuée, Just Philippot nous décrit la dure réalité d’une exploitante agricole, à travers un film de genre horrifique. Dans une interview donnée à Sens Critique, il explique que son film est un parfait mélange entre Petit Paysan et Alien. Le réalisateur nous dépeint donc le monde paysan français de 2021 et ses difficultés.


Après la mort de son mari, Virginie, agricultrice d’une quarantaine d’année, interprété par la fabuleuse Suliane Brahim de la Comédie Française, s’est lancée dans la culture de sauterelles. Virginie est veuve. Son marie s’est suicidé. Elle élève donc seule ses deux enfants, Gaston et Laura. Laura est moquée par les garçons de son village. Elle attend avec impatience le jour où sa mère décidera de quitter l’exploitation, comme elle lui l’a promis. La souffrance et les problèmes rencontrés par Virginie et ses enfants sont le quotidien de nombreuses familles en France.


Le décès de Pierre Rabhi, le samedi 4 décembre, nous fait nous questionner une fois de plus sur la dure réalité du travail agricole. Mais également sur notre manière de voir le monde paysan. Ce monde souffre. Il s’épuise. Malgré leurs revendications et leurs cris d’alerte, les agriculteurs français ne sont pas assez entendus.


Dans une époque où le mode de développement de l’agriculture française change très rapidement, les exploitants, eux, ne suivent plus. Le modèle agricole est corrosif. L’industrie et la machinisation des exploitations font perdre aux paysans le sens de leur métier. Selon notre intervenant « les machines interfèrent entre la nature et les Hommes ». Cela participe donc parfois à la perte du plaisir au travail. Cette machinisation peut également couper la sensibilité de l’exploitant agricole et provoquer un isolement. Le recensement agricole de 2020 déplore une perte de 100 000 exploitations en 10 ans. Les repreneurs se font rares. L’attrait pour le métier décroit.


Le rendement et la productivité sont devenus les priorités des groupes agricoles, mais à quel prix ? La difficulté du travail des agriculteurs est trop souvent oubliée. Dans La Nuée, depuis la mort de son mari, Virginie se tue au travail. Elle dort peu. Elle est rongée par le stress et les dettes. Tout ce qu’elle fait, elle le fait pour ses enfants.


Quand, à la suite d’une blessure au bras, Virginie se rend compte que le sang permet à ses sauterelles de se développer bien plus rapidement, le drame social se transforme alors en thrilleur horrifique. Plus ses insectes se nourrissent de sang, et plus son exploitation croît. C’est un véritable cercle vicieux, qui va petit à petit, se transformer en obsession maladive pour Virginie. Cela connote avec la charge mentale des agriculteurs. Les exploitants sont soumis à une forte pression. La peur de ne pas produire assez. La peur de ne plus pouvoir s’occuper de sa famille. Ils seront donc parfois prêts à tout pour sauver leur exploitation. Mais certains craquent. Et à l’extrême, choisissent de mettre fin à leur jour.


Cependant, Il est importants de nuancer les difficultés des exploitants. Il ne faut surtout pas généraliser le mal-être des agriculteurs français. En effet, les paysans et paysannes sont des êtres humains avant tout. Ils réagissent différemment aux contraintes et aux évolutions de leur profession. Certains exploitants vont être plus satisfaits que d’autres de la machinisation de leur exploitation. Ils auront une charge de travail moins importante. Une plus grande diversité de production.


D’après notre intervenant, on pourrait parler de déterminisme social afin de donner un sens et de faciliter la compréhension des problèmes du monde agricole. Mais ce ne serait pas vrai. De nombreuses variables rentrent en jeux. L’histoire personnelle, le contexte, ou les sentiments des exploitants agricoles...


La « feuille de route » du gouvernement essaye de trouver des solutions. Elle tend à accompagner les agriculteurs en difficultés, ainsi que leurs familles. Des aides psychologiques seront proposées. Des cellules d’accompagnement par régions seront mises en place. Néanmoins, pour l’association solidarité paysan, « elle n'est pas à la hauteur des enjeux et ne répond pas aux besoins concrets des agriculteurs en difficultés ». Ce document ne prend pas en compte les faibles revenus perçus par les exploitants agricole. Dans la Nuée, Virginie est obligée de baisser ses prix et de brader sa farine. Elle ne gagne presque rien. Elle ne peut même pas offrir à son fils Gaston le stage de football dont il rêve tant.


Il manque une approche globale du mal-être paysan. pour Les propositions du gouvernement « ne remettent pas en cause le système agricole ». Comme si les difficultés rencontrées par les agriculteurs n’avaient aucunement pour cause la société dans laquelle ils évoluent. Selon lui on ne prend pas assez en compte les sentiments des agriculteurs et les différences entre chaque agriculteur.


Le travail des associations, comme solidarité paysan, est primordial. L’agriculteur occupe une place centrale. Il propose une approche globale du mal-être paysans. Il n’y a aucun jugement, aucun apriori. Les bénévoles sont là pour lui, afin de trouver des solutions adaptées. Cela met en lumière le travail et les valeurs défendus par Pierre Rabhi tout au long de sa vie. L’humanisme. L’agriculteur avant l’agriculture, le bien-être avant le rendement. La route vers la compréhension et la lutte contre le mal-être paysan est encore longue, mais la voie est grande ouverte.