Samedi 5 mars 2022

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Sylvain Tesson et Vincent Munier au Tibet


France Inter (source)

Echo de l’indifférence de l’Homme pour le monde du vivant.


Par Etienne Astor



« Les animaux se moquent complètement de ce genre de trophées [...] ce qu’ils veulent c’est qu’on leur laisse un peu de place. » Voici les mots prononcés par Sylvain Tesson, coréalisateur de La Panthère des neiges, qui vient d’obtenir le prix du meilleur film documentaire lors de la 47ème cérémonie des Césars.

En 2022, plus que jamais, le climat et la protection de l’environnement est au cœur des préoccupations. Edith Planche, ethnologue et chercheuse à l’Université de Lyon, nous aide à appréhender le difficile lien entre l’Homme, son territoire et les êtres vivants qui le composent.


La Panthère des neiges, présenté au festival de Cannes dans la section « Le cinéma pour le climat », est sorti en salle en décembre 2021. Marie Amiguet (coréalisatrice) filme les aventures du photographe animalier Vincent Munier et de l’écrivain Sylvain Tesson dans les plateaux montagneux tibétains, à la recherche de la fameuse panthère des neiges. Durant ce voyage, entre spiritualité et remise en question, les deux hommes font le « point » sur le rapport entre l’Homme et la nature, et notre place dans le monde du vivant.


Outre les images magnifiques et la découverte de la faune tibétaine, ce film met en scène une aventure humaine entre les deux amis. Leur périple est rythmé par les heures d’affût et d’attente, par la recherche des meilleurs endroits où poser leurs jumelles et objectifs, par les attitudes à suivre afin de ne pas faire fuir les animaux, mais également par la rencontre avec des locaux et notamment des enfants, vivant en totale autarcie. Cela redonne un certain relent d’espoir. Il serait donc encore possible de vivre en symbiose avec la nature. Cependant, cette infime part d’espoir ne permet pas de combler le fossé grandissant qui sépare l’être humain de la nature.


La Fissure de l’Homme avec la Nature


Au fil du film, la voix de Sylvain Tesson accompagne le spectateur dans son périple. Il livre ses impressions. « Tout n’aurait donc pas été créé pour le regard de l’homme » dit-il. En effet, pour Edith, « on peut se demander si tout le vivant n’a pas une perception du réel différente en fonction de sa biomorphologie ». L’homme se place au centre de toute chose sur terre. Cet ethnocentrisme exacerbé est venu renforcer le fossé entre l’Homme et son environnement. « L’Homme à une manière de concevoir la nature comme une ressource, comme quelque chose d’extérieur à lui » appuie-t-elle.


Dans le passé, les sociétés humaines vivaient davantage en harmonie avec la nature. Cette vision revient timidement avec le développement durable, qui redonne la voie à la perception des autres êtres vivants. L’industrialisation et l’évolution de nos modes de vie ont entrainé une urbanisation extrême de nos espaces. Cependant, cette urbanisation est en coupure totale avec l’environnement. « On a organisé notre espace selon une vision humaine, aux dépens des animaux qui circulaient dans ces espaces » regrette notre ethnologue. Cela nous a donc coupé du vivant, mais nous avons également « coupé les animaux de leurs besoins ».


Le développement humain a eu un impact considérable sur la nature et les animaux. « Finalement, on appauvrit notre vision du monde en pensant que les animaux sont des objets » souligne Edith. Depuis des décennies, et d’autant plus avec les nouvelles technologies, l’être humain s’est construit un véritable dôme. Nous vivons dans un espace vital réduit, sans prendre conscience du monde qui nous entoure. Plus le film avance et plus Sylvain Tesson réalise que l’Homme s’est éloigné drastiquement de l’animal. Effectivement, selon lui, le mode de vie animal « c’est tout ce à quoi nous avons renoncé, l’autonomie, la connaissance parfaite de l’environnement et la liberté ».


Chaque année, ce sont près de 70 000 hectares de terres qui sont rongées par l’urbanisation et l’industrialisation intensive. « En coupant les écosystèmes, les sols et les cours d’eau sont appauvris et cela engendre des complications pour le monde animal » alerte notre intervenante. En 2010, la loi Grenelle 2 à instauré la Trame Verte et Bleue, un ensemble de politiques publiques ayant pour objectif de rétablir l’ordre dans les écosystèmes urbanisés. « Il y a par exemple la création de crapauduc », qui sont des conduits sous-terrain permettant aux crapauds de traverser les routes. Mais la volonté d’action environnementale, bien qu’existante, est discutable. Ces politiques soulignent surtout un besoin de réparer l’indifférence de l’Homme au moment de l’urbanisation des territoires.


Selon Edith « L’Homme classe la nature, avant de vivre une relation avec elle ». C’est pourquoi il faut apprendre à connaître l’environnement dans lequel on vit. Cela passe notamment par l’éducation et la sensibilisation à ces questions et ces enjeux environnementaux.


Eduquer, pour se reconnecter avec la nature


« Créer pour aimer et apprendre, créer pour aimer et préserver » est la devise de l’association Science et Art (SeA), créée il y a 22 ans par Madame Planche. À travers une méthodologie pédagogique, l’association souhaite « rétablir le lien que nous avons avec l’environnement » indique-t-elle. Pour SeA, il est important de partir d’un point de vue local, afin de s’intéresser au global et de prendre conscience du monde qui nous entoure.


Pendant plusieurs années, l’association a organisé des sorties tout au long du Rhône et du lac Léman. Des établissements scolaires exploraient donc « leur coin du fleuve » et les enfants étaient notamment invités à « créer des animaux, en leur donnant les fonctions et les attributs qu’ils désiraient, en lien avec la découverte de l’environnement ». Cette méthode permet aux plus jeunes de se rendre compte à quel point la faune qui nous entoure est fantastique. L’association souhaite rétablir les liens entre esprit critique et conscience artistique.


Prendre conscience du monde qui nous entoure et des êtres vivants avec qui nous partageons notre environnement est primordial. « Sensibiliser peut changer notre rapport au monde » insiste notre chercheuse. À travers des œuvres comme La Panthère des neiges et avec l’évolution des mentalités, on porte de plus en plus d’importance aux autres êtres vivants. Cependant, « dans notre société, l’éducation à la nature est encore trop secondaire ou pas assez complète ». Selon Edith, il faut introduire la notion sensible d’amour. L’écologue français Jean-Marie Pelt disait « il faut aimer ce campagnol pour avoir envie de le préserver ». Et l’art aide à aimer, à s’impliquer.


Il a fallu que Sylvain Tesson vive une expérience immersive dans un environnement vierge de toute empreinte humaine pour se rendre compte que l’Homme n’est qu’un simple maillon dans la chaîne du monde du vivant. « En ne respectant pas la nature, l’Homme se détruit » alarme Edith Planche. Il ne tient qu’à nous d’annihiler cette autodestruction.

Jeudi 3 février 2022

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Jesmark Scicluna sur son Luzzu, bateau de pêche traditionnelle maltais.

Image extraite du film


Sous la houle de la pêche industrielle


ACTU,

Du 9 au 11 février prochain, le One Ocean Summit se tiendra à Brest, sur la côte ouest de la France. Ce sommet international de l’océan a pour objectif de lutter contre la pêche illégale et le braconnage en haute mer.


FILM,

Ces deux thématiques sont abordées dans Luzzu sortit au cinéma le 29 janvier 2021.


INTERVENANT,

La rédaction de Contre.Champ a interrogé un expert en la matière, un scientifique français spécialisé en biologie océanographique.


Par Eve Chancel.

Dans le décor azur de Malte peu souvent mis à l’écran, le réalisateur Alex Camilleri nous place au plus près des problématiques liées à la pêche. Des enjeux économiques, écologiques, culturels et sociaux sont au cœur de cette activité en pleine mutation.

Notre intervenant travaille actuellement sur un projet européen et souhaite rester anonyme. Nous l’appellerons donc Guillaume.


Avec Luzzu, le réalisateur américano-maltais nous plonge dans le quotidien d’un jeune pêcheur père de famille. L’acteur non professionnel Jesmark Scicluna tente de faire survivre Luzzu, son bateau de pêche traditionnel mal en point, que sa famille se lègue de génération en génération. Attaché à une pêche respectueuse et artisanale, notre héros peine à en vivre. La situation se complique lorsqu’il se retrouve face aux dépenses liées à la maladie de son fils. Commence alors un combat contre la tentation de rejoindre le marché noir ou un grand chalutier industriel européen. Reste à savoir quel est le pire.


Ce drame néo-réaliste italien captive et alerte. Juste mélange entre expression artistique et démarche éthique, les 1h35 de film amène à se questionner sur la gestion des ressources halieutiques aux portes de notre continent.


La politique commune de la pêche de l’Union Européenne existe depuis 1983.


Elle tente de conjuguer l’exploitation durable des ressources, le maintien de la biodiversité marine et l’assurance d’un revenu décent aux professionnels du secteur. La pratique est tout autre selon Guillaume.


« Bien sûr on a été exploiter des ressources qui étaient déjà surexploitées »


La problématique réside dans le mode de gouvernance adopté par l’Union Européenne. « L’Europe cherche à nourrir sa population à moindre frais » nous affirme d’entrée de jeu Guillaume pour illustrer la proéminence des intérêts économiques. « Elle va donc piller les ressources ailleurs puisqu’elle n’a pas toujours bien géré les siennes ».


Selon les accords, l’UE est censée exploiter le surplus, autrement dit le quota de ressources non utilisé par les flottes nationales. Dans les faits, le mot pillage semble le plus approprié. Il avance avec évidence que « bien sûr on a été exploiter des ressources qui étaient déjà surexploitées ».


Jesmark Scicluna fait directement face à cette pénurie de ressources. La mer méditerranée détient le record mondial de surexploitation. Avec 95% des espèces surexploitées, l’offre ne permet plus de faire face à la demande des consommateurs. Certains pêcheurs, que Jesmark méprise et envie à la fois, sont alors amenés à se tourner vers le marché noir.


Cette thématique environnementale, économique et vitale pour certain amène à se questionner sur l’avenir des petits pêcheurs maltais.


Selon Guillaume, la surexploitation est en premier lieu imputable au consommateur. « Les gens veulent du poisson pas cher, quand les prix montent ça gueule » dénonce-t-il avant d’ajouter que l’UE adopte cette stratégie éthiquement discutable « pour avoir du poisson pas cher et assurer une protéine de qualité aux européens ». Sur les marchés de la ville, Jesmark Scicluna fait directement face au problème des prix. Face aux trouvailles du marché noir et aux énormes stocks des chalutiers, il se voit contraint de brader ses poissons pour en tirer quelques pièces.


« On vous fait croire que c’est protégé mais ça ne l’est pas »


Son métier place quotidiennement Jesmark Scicluna face à sa conscience personnelle. En mer, lorsqu’il pêche accidentellement un espadon, la tentation de le garder est grande. Ce poisson certes protégé mais déjà mort permettrait de surmonter quelques jours ses difficultés financières. Guillaume précise que ce by catch est très commun « C’est des systèmes où on vous dit qu’il y a beaucoup de contrôle mais les contrôles sont très difficiles à faire en mer. Par exemple quand les Espagnols pêchent le merlu profond au Sénégal, il y a plein de prises accessoires. Personne ne sait combien ils pêchent de lottes et d’autres poissons de grande valeur » souligne-t-il, avant de renchérir que « Il y a des tailles limites mais tout le monde s’en moque. On vous fait croire que c’est protégé mais ça ne l’est pas. Tout est alarmant. Et puis si on parle de régulation c’est la guerre. »


Dans les faits, beaucoup de choses sont faites « à l’arrache », selon l’expression utilisée par le scientifique pour éviter de parler d’illégalité.


Une illégalité pourtant bien présente, notamment dans la technique de camouflage utilisée par l’Union Européenne. Des navires opèrent pour son compte en pêchant derrière le pavillon d’un pays étranger. Ainsi, elle sort des accords légaux signés et est libre de ne respecter aucune restriction.


« Y a plein de bonnes intentions au niveau européen » affirme néanmoins Guillaume.


Malgré cela, vivre du poisson reste un défi quotidien. La précarité touchant Jesmark l’amène à se tourner vers les autorités européennes. L’aide sociale apportée par le FEAMP (fonds européen pour les affaires maritimes et pour la pêche) consiste en une simple offre d’emploi : rejoindre les chalutiers industriels européens.


Cette scène illustre les conséquences de la mutation industrielle de la pêche. Elle décime les stocks et ruine l’économie locale. Les particularismes locaux s’effacent mais les rendements augmentent. « L’Europe pense à elle » avance Guillaume avant d’ajouter délibérément que « tous les aspects sociaux économiques n’ont pas réellement pris en compte la sécurité alimentaire des populations locales ».


La solution ? Le scientifique avance un modèle qui semble utopique et inatteignable « Le secret serait d’arrêter les pêches lointaines, de gérer nos ressources localement, de développer l’emploi avec des pêches artisanales qui seraient économes en énergie et qui sont moins destructrices de la biodiversité. Parce que le chalutier c’est une usine à détruire la biodiversité. »


Poissons comme pêcheurs seraient donc gagnants dans l’adoption d’un nouveau modèle économique et social durable. Faudrait-il encore que « toutes ces préoccupations qui sont dans les débats européens soient dans les accords de pêche ».

Dimanche 2 janvier 2022

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Kate Dibiasky Randall Mindy découvrant l'existence de l'astéroïde

Image extrait du film

Météorite, médias et éco-anxiété


Par Paul Berger


Le nouveau film d’Adam McKay est une parabole. À travers une problématique fictive, il traite de l’inaction climatique. Derrière une approche décalée et burlesque, il tente d'analyser les mécanismes sociétaux qui bloquent la prise de conscience et la mise en action.

Un soir, les astronomes Kate Dibiasky et le docteur Randall Mindy font une découverte terrifiante. Leurs résultats sont formels : dans 6 mois, un « super » astéroïde va s’écraser sur la Terre. Les deux acolytes alertent immédiatement le Monde, enchaînant les rendez-vous politiques et les interventions dans les médias. Mais cette information se noie dans la vague des réseaux sociaux transformant le sujet en un simple divertissement. La présidente des États-Unis attendra, elle, d’avoir un intérêt personnel pour agir. C’est au sein d’une tornade politico-médiatique faite d’ego, de récupération et de déni que les deux héros devront manœuvrer, passant souvent pour des illuminés hystériques.​


Une fiction très crédible


L’éventualité d’une catastrophe de ce type est très faible. Le film n’en demeure pas moins une parabole. Il nous raconte l’histoire d’un système. Un système qui, à trop passer de temps à se regarder, est incapable de voir les menaces qui planent au-dessus de sa tête. La crise écologique, l’inaction étatique ou le mythe de la technologie comme réponse miraculeuse sont autant de sujets auxquels le réalisateur semble se référer pour construire son récit. Dans Don’t Look Up, le déni est omniprésent. Il faut regarder ailleurs et faire confiance aux autorités, pourtant prêtes à mettre en jeu la survie de l’humanité pour tenter d’en tirer un avantage.


Jean Pierre Le Dnaff est éco-psychologue depuis 2010. Cette science interdisciplinaire étudie comment l’humain appréhende mentalement la question écologique. Pour comprendre l'évolution psychologique des personnages portés à l'écran, il évoque la courbe du deuil, théorisé par Elisabeth Kübler-Ross, une psychiatre Américaine.


Quels mécanismes mentaux conditionnent l’inaction ?


Dans Don’t Look Up, les étapes du deuil relient entre eux tous les personnages. À travers leurs visions de l’astéroïde, c'est ce thème est abordé avec justesse et dérision. Elisabeth Kübler-Ross a théorisé un modèle décrivant le processus mental d’un individu lorsqu’il est confronté à un choc émotionnel. Il se décompose de manière non-linéaire en 5 étapes principales : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation.


Selon Jean-Pierre Le Dnaff, on peut élargir cette analyse aux réactions collectives. La raison est simple, les individus influent sur la société dans laquelle ils évoluent et vice-et-versa. En ce sens, le fonctionnement collectif peut être analysé sous le même angle qu’un processus individuel. Si toutes les étapes sont présentes dans le film, c'est le déni qui est le plus mis en avant. Le refus de l’évidence se couple à un marchandage croyant que l’humain, grâce à la technologie, est tout-puissant. Cette attitude collective plonge les deux protagonistes du film dans une rage. Le spectateur pourra s’identifier à ces deux scientifiques qui, durant toute l'intrigue, devront porter pour les autres le poids de la colère et de la dépression. Certains y verront même parallèle à l’éco-anxiété, qui qualifie l'angoisse et le sentiment d'impuissant que beaucoup de monde ressent face à l'ampleur de la crise écologique.


Ce sentiment est de plus en plus répandu dans la population. Jean Pierre Le Dnaff reçoit très régulièrement des personnes ayant besoin de partager leur appréhension mentale de cette crise. Pour ceux qui peuvent ressentir de la peur, de la colère, ou ce sentiment d’impuissance, il a quelques conseils. Selon lui, “ il faut accueillir ce que l’on vit, regarder avec son cœur et voir comment exploiter ce que l’on ressent, tenter d’en faire quelque chose de plus grand.”

Mardi 28 décembre 2021

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Charlotte Gainsbourg et Omar Sy dans Samba

Source : Image tirée du film

De la fiction à la réalité : Le périple des papiers


Le 18 décembre dernier, l’ONU a célèbré la journée internationale des Migrants. Pour cette occasion, Contre.Champ s’est intéressé aux conditions de prise en charge des immigrants en France et plus précisément, les demandeurs de titre de séjour. A travers le film Samba, Bruno Aguiar, juriste et bénévole à la Cimade témoignera de la réalité des bénévoles qui, comme lui, apportent des conseils juridiques aux étrangers.

Dans Samba, Olivier Nakache et Eric Tolédano racontent l’histoire d’un jeune sénégalais sans papier en France. A la suite d’une promesse d’embauche, il décide de demander une carte de séjour mais est arrêté à cause de sa situation irrégulière. Dans son centre de détention, Charlotte Gainsbourg et Isïa Higelin, bénévoles dans une association, lui viennent en aide afin de constituer un dossier pour obtenir un visa.


Dans la réalité, cette association pourrait être la Cimade. Créée en 1939, elle agit dans toute l’Europe par une forte solidarité envers les migrants et plus généralement pour les personnes en situation irrégulière. Elle propose des aides juridiques de professionnels et lutte pour la reconnaissance des droits des étrangers vivant en Europe.


A la Cimade de Bron, c’est Bruno Aguiar qui nous accueille. Depuis 2019, le brésilien de 31 ans reçoit tous les mardi après-midi les personnes qui rencontrent des difficultés avec le droit des étrangers. Bien que romantisé, le film Samba illustre selon lui, les difficultés des associations qui comme la Cimade aident les immigrants à obtenir des papiers pour rester sur le sol français.


Savoir poser une limite :


Samba est basé sur l’histoire d’amour entre Omar Sy qui fait une demande de titre de séjour et Charlotte Gainsbourg qui l’aide à faire les démarches juridiques. Ici, le film reflète la plus grosse difficulté pour un bénévole : conserver une distance. C’est loin d’être facile, surtout lorsqu’on s’identifie aux gens que l’on reçoit. Bruno se souvient « Un jour, j’ai reçu un groupe de Vénézuéliens, ils avaient mon âge. Ils n’avaient pas d’hébergement, ils dormaient dans la rue. J’avais envie de les héberger chez moi…. Je ne l’ai pas fait, mais je leur ai payé à manger. La distance c’est savoir rester très objectif sur une situation humaine qui peut être très difficile à vivre pour les gens et à entendre pour le bénévole. » En France depuis 15 ans, Bruno a lui aussi fait face aux procédures sans fin.


Persévérer & Patienter :


Samba, le héros joué par Omar Sy est en quête d’un visa immigrant… depuis 10 ans. Aussi appelée carte verte, ce titre de séjour permet rester une longue durée dans le pays. Pour constituer un dossier, les procédures sont multiples, le rôle de Bruno et de la Cimade est d’étudier la situation du demandeur, identifier les fondements de la demande tout comme les risques de refus. Le but est de choisir la procédure la plus adaptée « On prend un maximum d’informations, on réfléchit à toutes les procédures, tout ce qui est possible. Il faut que les gens soient accompagnés par des avocats qui connaissent techniquement et précisément le sujet.” L'association donne ensuite une liste d’avocats lyonnais aux demandeurs et forme une demande d’aide juridictionnelle pour financer le tout.


Cependant, les procédures engagées n’aboutissent que rarement. « On a parfois l’impression de pédaler dans la semoule » ironise Bruno. Il faut prendre son mal en patience. Il peut arriver de travailler pendant des semaines sur un dossier et recevoir une simple lettre de refus « on est face à une administration assez violente ». Pourtant, le jeune homme reste positif, « Si on se sent parfois impuissant par notre marge d’action, on gagne aussi certains dossiers, on a des victoires ! » Et ça donne une bonne raison de continuer et de transmettre ses compétences. Bruno est en train de former Marie, jeune retraitée et Ayoni jeune avocate brésilienne qui vient de finir un master spécialisé en Droits de l’Homme à Lyon.


Pour Bruno, être bénévole à la Cimade en droit des étrangers, ce n’est pas anodin, c’est combattre les inégalités « C’est le domaine du droit où il y a le plus besoin de rééquilibrer les rapports de force […] Pour que les choses soient un peu plus justes. »

Lundi 27 Décembre 2021

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Mathieu Kassovitz dans le rôle du capitaine du GIGN Philippe Legorjus

Image du film

MORALITÉ D’UN RÉFÉRENDUM SANS LES CONCERNÉS ?


Par Eve Chancel


ACTU,

Le 12 décembre 2021, l’autodétermination de la Nouvelle Calédonie a été débattue pour la troisième et dernière fois. Le non à l'indépendance l'a emporté à 96,50%.


FILM,

Mathieu Kassovitz dans L'Ordre et la moral s'appui sur l'évènement de l'assaut de la grotte d'Ouvéa pour parler des oppositions politiques qui agitent l'archipel français.


INTERVENANT,

La rédaction de CONTRE.CHAMP a recueillît les propos de Mathias Chauchat, professeur de droit public engagé en faveur de l'indépendance.

Le 23 décembre, le Parti de Libération Kanak, un des principaux mouvements indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, a déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour contester le référendum. Les indépendantistes avancent que les conditions d’organisation du scrutin ont altéré la sincérité de la consultation.


La question de l'autodétermination de l’archipel français a été débattue pour la troisième et dernière fois. Ce dossier sensible a été politiquement instrumentalisé, tout comme lors de l’assaut de la Grotte d’Ouvéa. Retour sur cet évènement à travers le film L’ordre et la moral réalisé en 2011 par Mathieu Kassovitz.


Le 5 mai 1988, l’assaut de la grotte d'Ouvéa est lancé sur ordre du gouvernement. C’est l’apogée des tensions qui bouillonnent depuis plusieurs décennies en Nouvelle-Calédonie. Les forces spéciales françaises et le GIGN interviennent pour libérer les 30 gendarmes fait prisonniers par les indépendantistes. L’opération Victor fait 19 morts du côté kanak contre 2 pour les forces françaises.


À travers son film, Mathieu Kassovitz relate cet évènement historique et politique. Il incarne lui-même Philippe Legorjus, capitaine du GIGN. Il mène les négociations, n’ayant jamais aboutie, avec Alphonse Dianou le chef des preneurs d'otages joué par Iabe Lapacas.


En 1988, la question de la Nouvelle-Calédonie a été instrumentalisée lors du second tour des élections présidentielles. Tandis que Chirac prônait une gestion brutale vis-à-vis d’un groupe qu’il juge terroriste pour attirer l’électorat d’extrême droite, Mitterrand a favorisé l’angle du dialogue. À 3 mois des élections de 2022, le dossier est encore une fois utilisé dans la course à la présidentielle. « Il y a beaucoup de similitudes avec la situation qui a précédé les événements » nous dit Matthias Chauchat.


À la suite d’une consultation à laquelle 56,1% de la population n’a pas participé, Emmanuel Macron a affirmé que le peuple avait « librement choisit ». Jean-Luc Mélenchon quant à lui s’est indigné des conditions dans lesquelles le scrutin s’est tenu. Le gouvernement de Jean Castex a en effet refusé de déplacer la date prévue comme le demandaient les Kanaks, qui ont donc boycotté le référendum.


Dans leur culture, en période de deuil il convient de se retirer plusieurs jours de la vie quotidienne. Majoritairement touché par l’épidémie, le peuple kanak n’était donc pas dans de bonnes conditions pour participer au scrutin. Mathias confirme cette idée et ajoute que la situation sanitaire générale était défavorable « en raison de la pandémie, la campagne de terrain était très difficile pour les indépendantistes. On ne rencontre pas les tribus avec des meetings Facebook. Tous les meetings physiques électoraux étaient… interdits ! »


Mathias avance qu’un autre facteur a joué dans le maintien du scrutin « l’équipe Macron Lecornu pense que la fermeté en Nouvelle-Calédonie est payante politiquement dans une présidentielle tournée vers l’extrême droite. » La droitisation de la campagne actuelle a donc infesté le dossier calédonien, et le peuple kanak en a payé les frais.


À noter qu’Edouard Philippe, lorsqu’il était Premier Ministre, avait exclu la tenue d’un référendum entre septembre 2021 et aout 2022 pour justement éviter l’instrumentalisation politique du dossier. En revenant sur cette décision, le gouvernement a perdu la confiance des Kanaks.


Il ajoute que le maintien de la date est également un choix politique national. Les législatives auront lieu en Nouvelle-Calédonie avec le corps électoral général comprenant tous les Français. « C’est une période de radicalisation où on recherche le vote des métropolitains. Cette période favorise la radicalité des comportements et les surenchères. Lecornu a donc « échangé » de futurs députés qui s’intègreront dans la majorité LREM en contrepartie du maintien de la date pour purger l’indépendance selon l’expression locale ». La question de l’indépendance et des droits de tout un peuple est donc bel et bien, comme en 1988, politisée et instrumentalisée pour servir les intérêts du gouvernement en place.


Le film fait également écho dans le paysage politique actuel en engageant la responsabilité d’un gouvernement dans sa gestion absurde de la crise. Dans le film, Daniel Martin, qui incarne Bernard Pons le ministre des DOM-TOM à l’époque, traduit par sa position ferme la ligne répressive du RPR à l’égard du sujet. « Le film a été en partie mal reçu dans la mesure où il donne une image assez pitoyable du pouvoir politique en France » nous dit Mathias Chauchat. Pour autant, Matthieu Kassovitz, reçu sur le plateau de On n’est pas couché à la sortie du film en 2011, affirme avoir été le plus objectif possible en relatant les faits collectés lors des recherches approfondies qu’il a menées. Cette image négative des pouvoirs publics est ressortie le 12 décembre de la gestion « violente », selon Mathias, du référendum par le gouvernement.


Dans le film, l’ordre d’assaut est donné par le gouvernement alors même que Philippe Legorjus tente de mener des négociations, qui auraient pu aboutir, avec les indépendantistes auteurs de la prise d’otage. Cette volonté de faire « sans les Kanaks » comme dit Mathias, ressurgit aujourd’hui. Le référendum a eu lieu sans la participation du peuple colonisé, ce qui est d’un réel non-sens politique. « Selon l’ONU, dans un pays en voie de décolonisation c’est le peuple colonisé qui doit voter sur son émancipation » nous dit le professeur avec évidence.


N’ayant pas participé au scrutin, les indépendantistes ne reconnaissent pas le résultat de la consultation. Ils n’acceptent donc pas la caducité des accords de Nouméa annoncé par Sébastien Lecornu, Ministre des Outre-mer. Selon Mathias il n’y a légitimement aucune chance que les Kanaks l’acceptent sans confrontation.


Cette notion de confrontation est au cœur du dossier calédonien. Alors qu’en 1988 elle aurait pu être pacifique, l’affront physique a été privilégié. Faute d’apprendre de ses erreurs, en 2021 le gouvernement a encore une fois privilégiée la violence, cette fois-ci institutionnelle, au dialogue.


« La hâte de mettre à bas l’édifice de l’accord de Nouméa l’a emporté sur toute autre considération » conclue Mathias.

Mercredi 15 Décembre 2021

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Mila et Alexandre


Image du film

LES CHOSES HUMAINES : UNE AGRESSION, DEUX POINTS DE VUE


Par Paul Berger


Le film Les choses Humaines de Yvan Attal nous plonge au cœur d’un drame. Celui d’une agression sexuelle. Il nous oppose intelligemment un agresseur qui ne se voit pas comme tel, et une victime qui, contre vents et marées, cherche à faire accepter sa vérité.

Alexandre Farell est un jeune homme bien né. Il fait la rencontre de Mila lors d’un dîner. C’est une jeune fille juive issue d’une classe sociale moins élevée. Au fur et à mesure de leurs échanges autour de cette table, une admiration semble se dessiner dans les yeux de Mila. Il a 22 ans, elle en a 17. Ils finissent par se rendre ensemble à une soirée organisée par des amis d’Alexandre. Le lendemain matin, la police perquisitionne le domicile d’Alexandre et le place en garde à vue. Dans la nuit, Mila s’est rendue au commissariat et a porté plainte pour viol. Il clame son innocence, que le rapport était consenti, et qu’elle s’en prend à lui pour se venger d’une humiliation qu’il lui a fait subir. Avec les compléments de Catherine Astor, plongeons au cœur d’un film qui pose la question du consentement, des agressions sexuelles et de leurs reconnaissances face à la loi.


Catherine Astor est avocate de formation. Elle travaille à l’Association Interprofessionnelle de Soin et de prévention des abus sexuels, à Saint Etienne. Elle intervient au plus près des victimes d’agression. Elle nous rappelle que les affabulations ne représentent que 4 % des cas. Le sens commun, il semble évident que les femmes ne s’amusent pas à inventer des sévices aussi graves et intimes. Au contraire, celles qui osent témoigner ne sont qu’une infime partie de l’ensemble des personnes qui subissent des violences sexuelles. Elle nous explique aussi que suite à ces témoignages « le problème réside dans la preuve, même si c’est aux enquêteurs de le faire, surtout si les faits datent. ». À l’heure où les paroles se libèrent, où l’on connaît un nombre d’affaires sans précédent, il semble que certaines lignes bougent, que la situation des femmes s’améliore. Le nombre de plaintes pour 2021 a augmenté. Il était de 15 % supérieur à celui de 2020 à l’issue du premier trimestre, selon le service statistique du ministère de l’Intérieur. Cela ne signifie pas que le nombre d’agressions à augmenté, mais bien que les femmes portent davantage plainte. Mais une évolution de société va plus vite qu’une évolution de la loi. De nombreux freins demeurent lorsqu’une victime va porter plainte. C’est à ce moment-là que commence le long processus qui est cœur du film. Prouver, faire reconnaître. Prouver qu’il y a eu agression, que non, le rapport n’était pas consenti. C’est souvent là que réside le problème, dans le jugement des paroles.



Le film pose la question de la perception. Il nous fera naviguer entre les deux points de vue, complétés par des flash-backs de cette soirée, qui nous révèlent qu’il n’y a pas une vérité dans cette affaire, mais deux.


Alexandre n’est pas dépeint dans le film comme quelqu’un d’antipathique, comme le profil de l’agresseur tel que la société le fantasme. Cependant il semble ressentir une supériorité naturelle induite par sa classe. C’est un jeune homme prétentieux, conscient de la supériorité sociale que lui offre sa naissance. Selon lui, après avoir eu un rapport consenti avec Mila dans un local poubelle, il l’a humilié. Il lui a expliqué qu’il n’a fait ça que pour un jeu, qu’il allait garder sa culotte comme trophée et qu’elle allait rentrer chez elle. L’humiliation était totale pour la jeune fille, ce qui explique selon lui cette vengeance. Il est catégorique : il ne l’a pas violé.


Mila, portée par une Suzanne Jouannet habitée par son personnage, ne laisse que peu de place au doute. L’adolescente est sous le choc, traumatisée et en colère. Elle s’est laissée amadouer par un homme plus vieux, avec une situation sociale supérieure. Il l’a fait boire, elle ne boit jamais. Il l’a fait fumer, elle ne fume jamais. Il lui propose de sortir dans la rue, l’attire dans un local poubelle et la viole. Tétanisée, elle ne peut ni crier, ni dire non, elle s’oublie, se laisse faire. Le soir même, elle se rend au commissariat. Commence un long combat pour faire reconnaître son agression. Elle doit d’abord expliquer les faits à des policiers qui semblent essayer de la dissuader d’aller au bout de son processus. Elle devra ensuite faire un examen gynécologique pour prouver qu’il y a eu pénétration. Le calvaire de cette soirée s’achèvera par une séance chez une psychologue, à chaud, dont Mila ne semble pas comprendre l’intérêt. À travers cette scène, le film nous illustre que chaque étape pour faire reconnaître son agression est un combat. Mais Mila mènera ce combat, tentera de faire condamner son bourreau, l’homme qui lui a volé une partie d’elle, qui, dans ce local à poubelle, l’a condamné à perpétuité. Catherine Astor nous l’explique, faire reconnaître son agression par la justice est un long périple et 70 % des affaires finissent classées sans suite. Cependant, elle nous rappelle l’importance capitale de ne pas taire. Pour elle, il faut « parler pour reprendre son statut de sujet et notamment de sujet de droit, car une agression sexuelle est avant tout un abus de pouvoir qui fait que l’auteur utilise la victime comme un objet. Il peut, et c’est souvent le cas, y avoir d’autres victimes. S’il n’y a pas de dénonciation, la personne mise en cause peut continuer. »



Le film ne nous donne pas une version comme supérieure à l’autre, il ne fait pas l’erreur de condamner automatiquement celui que tout accable. Il déplace le curseur et nous invite à nous souvenir qu’une histoire peut avoir plusieurs vérités. Ceci étant dit, il soulève aussi les très nombreuses limites de notre système judiciaire et de société quand il s’agit de traiter les affaires de viol. La question de la prescription, comme nous l’explique Catherine Astor, peut être un problème. La parole peut mettre des années à se libérer alors que la prescription est fixée par la loi à 10 ans pour les affaires d’agression sexuelle.


Selon elle, les enjeux principaux tiennent en la formation des professionnels qui accompagnent les victimes, à commencer par le personnel policier. Mais un enjeu important réside aussi dans la prévention et dans l’éducation des enfants. Alexandre n’a peut-être pas eu l’intention, ou la sensation, de violer Mila. Pourtant, il l’a fait. Il l’a violée, car elle l’a vécu ainsi.

Lundi 13 Décembre 2021

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Affiche du film "La Nuée" de Just Philippot, sorti en juin 2020.


source AlloCiné

Le vrombissement de détresse du monde paysan


Par Etienne Astor


En France, en 2018, ce sont 296 paysans qui se sont donnés la mort. Misère sociale, problèmes financiers et surcharge de travail sont les causes de cette surmortalité dans le monde agricole. Encore aujourd’hui, c’est environ un agriculteur par jour qui en vient au suicide. Pour travailler sur cela, nous nous sommes entretenus avec un chercheur en psychologie du travail.

Le mardi 23 Novembre, à travers la présentation d’une « feuille de route », le gouvernement ambitionne de solutionner les difficultés du monde agricole français. Le ministre de l’Agriculture et de l’alimentation, Julien de Normandie, accompagné d’Olivier Véran, a donc dévoilé ce document, s’attaquant au mal-être des paysans.


Dans son premier long métrage intitulé La Nuée, Just Philippot nous décrit la dure réalité d’une exploitante agricole, à travers un film de genre horrifique. Dans une interview donnée à Sens Critique, il explique que son film est un parfait mélange entre Petit Paysan et Alien. Le réalisateur nous dépeint donc le monde paysan français de 2021 et ses difficultés.


Après la mort de son mari, Virginie, agricultrice d’une quarantaine d’année, interprété par la fabuleuse Suliane Brahim de la Comédie Française, s’est lancée dans la culture de sauterelles. Virginie est veuve. Son marie s’est suicidé. Elle élève donc seule ses deux enfants, Gaston et Laura. Laura est moquée par les garçons de son village. Elle attend avec impatience le jour où sa mère décidera de quitter l’exploitation, comme elle lui l’a promis. La souffrance et les problèmes rencontrés par Virginie et ses enfants sont le quotidien de nombreuses familles en France.


Le décès de Pierre Rabhi, le samedi 4 décembre, nous fait nous questionner une fois de plus sur la dure réalité du travail agricole. Mais également sur notre manière de voir le monde paysan. Ce monde souffre. Il s’épuise. Malgré leurs revendications et leurs cris d’alerte, les agriculteurs français ne sont pas assez entendus.


Dans une époque où le mode de développement de l’agriculture française change très rapidement, les exploitants, eux, ne suivent plus. Le modèle agricole est corrosif. L’industrie et la machinisation des exploitations font perdre aux paysans le sens de leur métier. Selon notre intervenant « les machines interfèrent entre la nature et les Hommes ». Cela participe donc parfois à la perte du plaisir au travail. Cette machinisation peut également couper la sensibilité de l’exploitant agricole et provoquer un isolement. Le recensement agricole de 2020 déplore une perte de 100 000 exploitations en 10 ans. Les repreneurs se font rares. L’attrait pour le métier décroit.


Le rendement et la productivité sont devenus les priorités des groupes agricoles, mais à quel prix ? La difficulté du travail des agriculteurs est trop souvent oubliée. Dans La Nuée, depuis la mort de son mari, Virginie se tue au travail. Elle dort peu. Elle est rongée par le stress et les dettes. Tout ce qu’elle fait, elle le fait pour ses enfants.


Quand, à la suite d’une blessure au bras, Virginie se rend compte que le sang permet à ses sauterelles de se développer bien plus rapidement, le drame social se transforme alors en thrilleur horrifique. Plus ses insectes se nourrissent de sang, et plus son exploitation croît. C’est un véritable cercle vicieux, qui va petit à petit, se transformer en obsession maladive pour Virginie. Cela connote avec la charge mentale des agriculteurs. Les exploitants sont soumis à une forte pression. La peur de ne pas produire assez. La peur de ne plus pouvoir s’occuper de sa famille. Ils seront donc parfois prêts à tout pour sauver leur exploitation. Mais certains craquent. Et à l’extrême, choisissent de mettre fin à leur jour.


Cependant, Il est importants de nuancer les difficultés des exploitants. Il ne faut surtout pas généraliser le mal-être des agriculteurs français. En effet, les paysans et paysannes sont des êtres humains avant tout. Ils réagissent différemment aux contraintes et aux évolutions de leur profession. Certains exploitants vont être plus satisfaits que d’autres de la machinisation de leur exploitation. Ils auront une charge de travail moins importante. Une plus grande diversité de production.


D’après notre intervenant, on pourrait parler de déterminisme social afin de donner un sens et de faciliter la compréhension des problèmes du monde agricole. Mais ce ne serait pas vrai. De nombreuses variables rentrent en jeux. L’histoire personnelle, le contexte, ou les sentiments des exploitants agricoles...


La « feuille de route » du gouvernement essaye de trouver des solutions. Elle tend à accompagner les agriculteurs en difficultés, ainsi que leurs familles. Des aides psychologiques seront proposées. Des cellules d’accompagnement par régions seront mises en place. Néanmoins, pour l’association solidarité paysan, « elle n'est pas à la hauteur des enjeux et ne répond pas aux besoins concrets des agriculteurs en difficultés ». Ce document ne prend pas en compte les faibles revenus perçus par les exploitants agricole. Dans la Nuée, Virginie est obligée de baisser ses prix et de brader sa farine. Elle ne gagne presque rien. Elle ne peut même pas offrir à son fils Gaston le stage de football dont il rêve tant.


Il manque une approche globale du mal-être paysan. pour Les propositions du gouvernement « ne remettent pas en cause le système agricole ». Comme si les difficultés rencontrées par les agriculteurs n’avaient aucunement pour cause la société dans laquelle ils évoluent. Selon lui on ne prend pas assez en compte les sentiments des agriculteurs et les différences entre chaque agriculteur.


Le travail des associations, comme solidarité paysan, est primordial. L’agriculteur occupe une place centrale. Il propose une approche globale du mal-être paysans. Il n’y a aucun jugement, aucun apriori. Les bénévoles sont là pour lui, afin de trouver des solutions adaptées. Cela met en lumière le travail et les valeurs défendus par Pierre Rabhi tout au long de sa vie. L’humanisme. L’agriculteur avant l’agriculture, le bien-être avant le rendement. La route vers la compréhension et la lutte contre le mal-être paysan est encore longue, mais la voie est grande ouverte.

Mardi 7 décembre 2021



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Affiche d' "Illusions Perdues", sortit le 20 octobre en salle.


Télérama

De très actuelles illusions Perdues


Par Eve Chancel


Avec Illusions Perdues, Xavier Giannoli nous plonge dans un Paris du XIXe siècle, pas si historique qu’il en a l’air.

Lors du premier meeting d’Éric Zemmour à Villepinte, le candidat à la présidentiel n’a pas hésité à refaire le portrait du monde médiatique. Les journalistes formeraient une élite complètement alliée au gouvernement et plus largement au monde politique.


Il semblerait qu’un autre, avant lui, se soit déjà emparé du sujet des « marchands de lignes… ». L’adaptation par le réalisateur français de la deuxième partie du roman balzacien intitulée « Un Grand Homme de Province à Paris » a séduit les spectateurs dès sa sortie.

Nous nous sommes entretenus avec François Cau, journaliste, chroniqueur cinéma et auteur.

Il préfère parler de trahison réussie que d’adaptation au sujet du dernier film de Giannoli. L’enjeu selon lui réside dans le fait de « trahir l’œuvre original en bonne intelligence, respecter le matériau de base en lui amenant une autre perspective. » Xavier Giannoli a réussi le pari et offert aux spectateurs cette autre perspective en donnant au film une dimension actuelle.


La peinture féroce de la presse et du pouvoir des années 1820 faite par Balzac et retranscrite à l’écran fait étrangement écho au paysage politique et médiatique actuel. « Il y a très clairement une volonté de la part de Giannoli de parler de la captation de la presse par des puissances économiques, qui sont montrées telles quelles dans le film. »

La quête d’influence et de pouvoir comme motif majeur de cette captation de l’information se fait au détriment même de cette dernière.


« Le journal tiendra pour vrai tout ce qui est probable ». La thématique actuelle des fake news est abordée à travers cette réplique de Vincent Lacoste dans le rôle d’Etienne Lousteau, rédacteur du journal Satan et davantage imposteur que journaliste. Selon François, la thématique du conflit d’intérêts anime le film et explique la monétisation et le détournement de l’information aux plus offrants ou influents.


Le jeune Lucien se fait expulser d’une sphère médiatique sans pitié qui peut s’apparenter à celle d’aujourd’hui. Le journaliste utilisé comme pion pour faire passer ses idées est une dimension de la crise médiatique actuelle. Le miroir entre les siècles se retrouve également dans l’idée d’un microcosme parisien. « Le film fonctionne comme une photographie de l’époque, une image de la construction de Paris comme sphère d’influence ultra centralisée » nous dit François. « Pour observer le microcosme très spécifique de la critique parisienne depuis maintenant une vingtaine d’années, je peux vous assurer que le récit n’en fait pas trop, à une nuance près : la qualité littéraire n’est plus aussi prisée et respectée, il suffit d’être fort en gueule et d’avoir ce qu’il faut d’assurance pour perdurer. » De mieux en mieux…

Cette volonté d’appartenir à la haute sphère parisienne traverse les époques et induit le déracinement et le dévoiement des ambitions initiales pour rentrer dans les codes sociaux édictés. C’est le cas du poète romantique Lucien qui arrive à Paris bercés de belles illusions et qui devient le pire critique parisien pour se forger une place dans cette société élitiste.

La société des classes et le plafond de verre auquel il se heurte ne lui permettent qu’une ascension éphémère. Le film se clôture notamment à Angoulême dans la campagne de Lucien, ce qui témoigne de l’impossibilité de transfuge de classe.


En abordant ces thématiques sociétales, on peut se questionner de la portée politique du cinéma de Giannoli. « Cinéphile averti s’il en est, Giannoli sait très bien que le cinéma est un acte politique à l’instar de n’importe quelle création artistique » nous dit François qui se considère lui-même comme « un de ces fous furieux qui considèrent que tout acte créatif est forcément politique. »

« Je pense que cette version d’Illusions Perdues nous aide à comprendre, avec une prescience assez extraordinaire, les désarrois récents d’Éric Zemmour et Marlène Schiappa quand les journalistes en face d’eux ne leur posent pas les questions qu’ils attendaient. Ou encore pourquoi le nom choisi par Éric Zemmour (Rubempré) pour sa structure d’édition / distribution financée en sous-main par l’empire Bolloré, est un non-sens consternant. »


Sur ce dernier point, l’appétence pour l’argent, omniprésente dans le film, est le cœur de cette nouvelle structure éditoriale axée davantage sur l’aspect commercial, plus lucratif. La référence à Rubempré, qui se relève au cours de son ascension meilleur polémiste que poète, ne laisse pas sans arrière-pensée. Tout comme la présence de Dauriat (incarné par Gérard Depardieu). Cet éditeur véreux et corrompu qui impose sa loi bien qu’il ne sache ni lire ni écrire… Comme si quelqu’un tirait les ficelles d’un milieu auquel il n’appartient pas.

Mercredi 8 décembre

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Dick Chenay, incarné par Christian Bale.


Image du film

Dick Chenay : l'anti Kamala Harris


Par Paul Berger


Mais où est passé Kamala Harris ? Cette question est récurrente auprès des observateurs de la politique américaine depuis plusieurs mois. La première Vice-présidente féminine de l’histoire des États-Unis a en effet disparu des radars médiatiques, délaissant son rôle. À travers l’analyse du film Vice, d’Adam Mc Kay, revenons sur une personnalité qui, au regard de l’actualité, apparaît comme l’anti Kamala Harris.

Aux Etats-Unis, le rôle d’un Vice Président est avant tout symbolique. Pas pour Dick Cheney. De 2001 à 2009, ce Républicain a discrètement tiré les ficelles dans l’ombre du Président George W. Bush. Il aura influencé l’administration de la Maison Blanche, jusqu’à la mener dans une des plus grandes débâcles militaires de son histoire.


Vice est porté par un Christian Bale métamorphosé. Pendant 2 heures, il nous raconte les Etats-Unis du début du XXIe siècle à travers la satire d’un personnage obscure. Revenons sur Dick Cheney, son histoire, et le contexte géopolitique dans lequel il a évolué. Pour ce faire, Brice Cristoforetti, professeur de géopolitique, a accepté de répondre à nos questions.



L’histoire de Vice commence le 11 septembre 2001. Dans le bunker de sécurité de la Maison Blanche, la jeune administration Bush est paniquée. L’ennemi n’a pas de visage, pas de pays et fait pourtant trembler la première puissance mondiale. La confusion règne. Pourtant, un Homme détonne par son calme. Dick Cheney est le 46e Vice Président des Etats-Unis. Il est également le seul à ce jour, à avoir ainsi investi son rôle. Le seul à avoir vu en cette position, que beaucoup considèrent comme un pot aux roses, une opportunité. Comme nous l’explique Brice Cristoforetti traditionnellement, « on peut dire qu’un vice-président est surtout là pour conseiller le président, tel un « super conseiller ». Il joue un rôle de collaborateur dans la gestion des dossiers qui relèvent de la compétence du président. [...] Il a aussi un rôle prépondérant sur les affaires relatives à la sécurité nationale. » L’administration Bush est dirigée par un Homme se décrivant lui-même comme un « instinctif ». En ce sens, l’absence médiatique et politique de Kamala Harris ne semble que peu surprenante. L’administration présidentielle américaine est actuellement incarnée par une personnalité forte comme Joe Biden, ce qui explique la discrétion de la vice-présidente. En 2001, la situation était autre. Le 43e président des Etats-Unis n’est pas connu pour être un théoricien ou un intellectuel. C’est son Vice Président qui gère les affaires courantes telles que l’énergie ou la politique étrangère.




Dans ce bunker, Dick Cheney donne les ordres aux conseillers, à la place d’un George W. Bush absent. Tous le savent, c’est cet homme rondouillard et impassible qui tient les rênes. Il a profité des faiblesses du président pour asseoir son autorité. Mais comment Dick Cheney a-t-il réussi à pousser son administration dans une guerre qui fera plus de 600 000 victimes et qui déstabilisera profondément le Moyen Orient ? Pour Brice Cristoforetti, cela s’explique par l’influence des « faucons » du parti Républicain. « C’est une posture politique qui s’est notamment nourrie de l’influence des intellectuels néoconservateurs, qui prônent pour les Etats-Unis un rôle offensif dans la gestion des affaires mondiales. [...] C’est aussi une doctrine qui prône le développement démocratique dans le monde grâce à l’emploi de la force. De son côté, Bush Jr. [...] était d’avis que son père aurait dû profiter de la première guerre d’Irak pour renverser le régime de Saddam Hussein. Étant donné la confiance qu’il accorde à son vice-président, et la popularité du néoconservatisme au sein de sa propre administration, il se laisse séduire par cette vision quasi- messianique du rôle de l’Amérique. »


C’est donc sur un terrain idéologique fertile que Dick Cheney a manœuvré. Proche des lobbies du pétrole, il voit l’Irak comme une ressource exploitable. La suite appartient à l’histoire. Les preuves fallacieuses d’un programme militaire de destruction massive présentées par Colin Powell devant l’ONU. La mise en avant d’une menace terroriste mineure, qui nourrira une ferveur fondamentaliste Chiites. Les conséquences de cette intervention militaire « préventive » seront désastreuses.



Au vu des fonction de Vice Président, l’absence remarquée de la Kamala Harris tient sûrement à sa qualité de femme et l’aspect novateur qu’il apporte dans le paysage américain. Tout Vice Président n’est pas Dick Cheney, et ses successeurs ont toujours affirmé qu’ils ne prendraient pas l'espace politique qu’il occupait. Dans Vice, Dick Cheney, incarné par un Christian Bale métamorphosé, est passé au crible. Le ton satirique n’enlève rien à la puissance histoire du récit. Son traitement scénaristique se détache du simple anti-héros pour nous présenter un homme opportuniste et ancré dans son époque. Vice se concentre sur l’ascension d’un Homme plus complexe qu’il n’y paraît. Le film nous plonge aussi dans son intimité familiale. Il explore les zones grises, sa relation avec sa femme, son ainée politicienne et sa cadette dont il accepta l’orientation sexuelle. Un film à découvrir ou redécouvrir.